Texte et dessins reproduits avec l'aimable autorisation de:

Dr Pierre BOCHER

Chirurgien dentiste - Juge SCC

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LA VRAIE PROGNATHIE CANINE

Dès le début de la cynologie officielle moderne, c'est à dire à la fin du 19ème siècle un des premiers éléments pris en compte pour la sélection raciale canine fut le positionnement des dents les unes par rapport aux autres.

Les chiens avaient dans leur gueule leur principal élément de survie et la dégénérescence de cet outil primordial eut été gravissime

Les juges déjà à l'époque comptaient les dents et regardaient si la position des mâchoires était bonne.

De nos jours, cet examen apparemment facile s'est maintenu tout naturellement sans que personne ne se pose la question de son efficacité réelle ou même remette en question la méthode qui consiste à vérifier le rapport de l'articulé au niveau des blocs incisifs.

Pourtant malgré cette barrière impitoyable érigée depuis plus d'un siècle, l'anomalie persiste !

Alors doit-on s'interroger sur l'efficacité du système?

• Il faut tout d'abord éclaircir le raisonnement en précisant certains points de vocabulaire:

- Gnathos en Grec veut dire "mâchoire" et peut par conséquent, s'employer pour la mâchoire du haut comme pour celle du bas. On précisera donc à chaque fois supérieure ou inférieure.

- Les préfixes retro et pro voulant dire en arrière ou en avant s'appliquent aussi bien à l'os maxillaire; pro et retro gnathie, qu'à l'os alvéolaire : pro et retro alvéolie.

- Les mots "grignard" et "bégu" (désignant soit un prognathisme supérieur, soit une retro alvéolie inférieure) sont à éviter car ils portent à confusion.

- Deux termes sont essentiels dans cette démonstration : l'os maxillaire d'une part et l'os alvéolaire d'autre part.

• Il faut en effet considérer que les mâchoires sont constituées de deux formes osseuses qui ont des destinées très différentes:

- L'os maxillaire, qui constitue le corps de la mâchoire et qui va évoluer avec l'ensemble du squelette en particulier des os crâniens et qui signe par sa forme et sa position un caractère transmissible des rapports intermaxillaires. La correction des anomalies de ces rapports ne peut se faire que par orthopédie chirurgicale maxillaire.

- L'os alvéolaire, qui supporte les dents et englobe dans des alvéoles les racines de celles-ci. C'est un os qui évolue avec les dents et qui disparaît avec elles.

Il est très malléable, transformable, adaptable et signe des phénomènes acquis (Voussure osseuse en regard d'un kyste, etc...). Il disparaît totalement chez les édentés complets. L'os alvéolaire s'installe dans le couloir dentaire qui se faufile, entre joues et lèvres d'un côté et langue de l'autre côté et il trouve donc son emplacement au sein d'un équilibre, des sangles musculaires. La correction de ces anomalies se fait très facilement par orthodontie mécanique.

* Une hypotonicité de la sangle musculaire externe (labiale et jugale) permet le basculement des dents vers l'extérieur.

* A l'inverse une hypertonicité linguale ou une macroglossie (grosse langue) provoque aussi un basculement des dents vers l'extérieur.

La conséquence fondamentale est que la position des dents corrige parfois les défauts de rapport des os maxillaires.

CARACTÉRISTIQUES SPÉCIFIQUES DE LA DENTITION DU CHIEN

PAR RAPPORT À CELLE DE L'HOMME:

• La différence essentielle est la diduction:

- L'homme peut imprimer à sa mâchoire inférieure des mouvements de latéralité en déplaçant la pointe de son menton à droite ou à gauche. Le chien ne le peut pas car il doit se servir de ses mâchoires pour casser et broyer des os et il est facilement compréhensible que si vous utilisez un casse-noix dont l'articulation permet tous les mouvements vous risquer de vous pincer ou de vous blesser avant d'arriver à vos fins. C'est pour cette raison que les canines des chiens sont si puissantes car les mouvements de latéralité ne sont pas possibles puisqu'en occlusion les canines du haut bloquent la mâchoire du bas. C'est pour cela que les racines des crocs sont plus longues (environ deux fois la taille des couronnes) et s'enfoncent dans l'os maxillaire en prenant une direction de plus en plus horizontale et qu'elles sont les seules à être ainsi témoin de la réelle position des os maxillaires. Au contraire, les incisives ont des racines très courtes, confinées dans l'os alvéolaire et par conséquent mobilisables avec lui sous l'effet de pressions parfois légères. En plus, lors d'une retrognathie supérieure il est facile de comprendre qu'avec le manque de place dans l'os pour une incrustation normale de la racine des crocs supérieurs l'apex de celle-ci s'oriente en dedans et en avant. C'est pour cela que la pointe de la couronne à l'opposé, s'oriente en dehors et en arrière. Toutes les vraies prognathies inférieures (boxers) ont les canines orientées en dehors et en arrière. Ceci devient un indice supplémentaire pour parfaire le diagnostic.

Dans un cas très rare et sans que l'articulé soit inversé on peut soupçonner aussi une prognathie supérieure lorsque le contact entre les canines est trop fort. Il n'y a aucun contact sur la face postérieure de la canine supérieure et il y a cependant à cet endroit une zone d'usure très nette (figure 4) ceci est dû au "contact prématuré" au niveau antérieur de cette même dent qui à cause des chocs fréquents encaissés à la mastication, fait se décoller l'émail du côté opposé. (se rencontre chez les humains dans certains cas de bruxisme).

On a longtemps cru que certains chiens de chenil se faisant les crocs sur leur grillage mais, sachant la difficulté qu'il y a de meuler l'émail d'un croc avec une fraise diamantée montée sur turbine à 400 000 Tr/mn, il paraît plus probable que cette usure soit effectivement due à un signe de légère prognathie supérieure bloquée dans son évolution par l'engrenage des canines.

Figure 1

Rapport normal des canines et du coin supérieur

Figure 2

Décalage antéro-postérieur des maxillaires supérieurs en arrière ou inférieurs en avant

Figure 3

Articulé inversé

Décalage antéro-postérieur des maxillaires supérieurs en avant ou inférieurs en arrière

Figure 4

Normognathe apparent

présentés plus bas, les incisives sont placées en bout à bout (pince) pour faciliter la démonstration, mais il y a en réalité un recouvrement du bloc incisif inférieur par le bloc incisif supérieur (ciseau) insuffisamment quantifiable sur un tel schéma.

La série A représente 7 situations dites "Normognathe" pour les races qui doivent avoir un rapport maxillaire homologue.

Au niveau des canines, il y a presque contact; l'espace est de toute façon inférieur à 2mm, la canine supérieure étant en position postérieure par rapport à la canine inférieure qui est elle-même en arrière du coin supérieur.

Profil droit d'un chien normognathe

A 1

Les incisives inférieures et supérieures sont en position normale

C'est l'articulé en ciseau recherché et le rapport maxillaire parfait

A 2

Les incisives sont inclinées vers l'avant: il s'agit d'une proalvéolie supérieure.

Attention : Ce n'est pas un vrai "bégu" malgré l'apparence, car le rapport osseux est normal.

D'où la nécessité d'un contrôle d'articulé au niveau des canines.

A 3

Les incisives supérieures sont inclinées vers l'arrière: il s'agit d'une rétroalvéolie supérieure.

Le plus souvent source d'erreur, ce chien est apparemment prognathe. Mais après contrôle au niveau des canines, c'est une fausse prognathie inférieure.

A 4

Il s'agit d'une bi-rétroalvéolie; l'apparence est normale mais l'articulé aussi et le rapport osseux aussi.

Ce cas passe généralement inaperçu! Si ce n'est l'impression d'un museau un peu court.

A 5

Biproalvéolie: Apparence et rapport normaux. Passe aussi inaperçu si ce n'est parfois le signe d'un museau un peu long.

Il n'y a cependant pas de défaut transmissible.

A 6

Donne la même impression que A2; Ce chien n'est pas réellement bégu.

A 7

Donne la même impression que A3; Ce chien n'est pas réellement prognathe

La série B représente 7 situations où tous les chiens sont prognathes (Prognathisme inférieur ou rétrognathisme supérieur). Les canines inférieures et supérieures sont séparées de plus de 2 mm.

B 1

Les rapports dentaires signent les rapports osseux.

L'inclinaison des dents est normale et le prognathisme est visible au niveau incisif. Il peut être contrôlé au niveau des canines où le décalage est supérieur à 2 mm.

B 2

Le cas le plus difficile à déceler et à faire admettre par un exposant. La proalvéolie supérieure masque la vraie prognathie qui ne peut être découverte qu'à l'examen des canines.

Dans le contexte actuel, ce cas n'est jamais pris en compte alors qu'il s'agit d'une prognathie inférieure.

B 3

La rétroalvéolie supérieure augmente la prognathie inférieure et facilite la lecture de celle-ci.

B 4

Donne la même impression que B3.

B 5

Encore un articulé d'apparence normale qui camoufle comme B2 une vraie prognathie inférieure qui n'est pour l'instant jamais sanctionnée.

Il y a en plus dans ces deux cas très souvent un bout àbout incisif.

B 6

La Birétroalvéolie ne camoufle pas la prognathie et passe souvent inaperçue.

B 7

La Biproalvéolie est également un phénomène compensatoire.

La série C représente les 7 situations où les chiens sont rétrognathes (Rétrognathisme inférieur ou prognathisme supérieur ou bégu). La position des canines est inversée (la lecture est beaucoup plus facile à condition de faire un contrôle au niveau des canines.

C 1

L'inclinaison normale des dents ne cache pas la prognathie supérieure.

C 2

La prognathie supérieure est aggravée par la proalvéolie.

Le diagnostic devient évident.

C 3

Attention!

L'articulé incisif est normal et seul l'inversée "canine" signe la prognathie supérieure.

Anomalie pratiquement jamais décelée.

C 4

Attention!

C'est la même situation "apparente" que C3.

C 5

Equivalent à C2.

Il n'y a pas de problème de lecture.

C 6

La Birétroalvéolie pratiquement indécelable ne cache pas le prognathisme supérieur.

C 7

La biproalvéolie de la même façon ne change rien puisque l'avancée des dents du haut compense celle des dents du bas et vice et versa.

 

COMMENTAIRE SUR QUELQUES RACES

- Pour les " normognathes " c'est-à-dire les plus nombreux qui ont dans le meilleur des cas l'articulé en ciseau, le seul regard au niveau incisif ne suffit pas et le faible pourcentage d'anomalies non décelées nécessite une plus grande vigilance et une meilleure lecture en particulier en se référant à la position des crocs.

- Pour un prognathe naturel style "Boxer" où la prognathie inférieure est la "normale", il faut, bien sûr, transposer; ainsi le A7 et A3 peuvent être acceptés alors que le rapport entre les maxillaires n'est pas celui recherché.

B2 et B5 pourraient être refusés alors qu'il s'agit de vrais prognathes. Il faut donc aussi dans ces 4 positions avoir un contrôle au niveau des canines.

- Pour un Cane Corso qui doit avoir un prognathisme jointif, c'est-à-dire un articulé inversé, mais avec un contact dentaire au niveau des incisives, on voit que la lecture doit être très affinée et l'espace entre les crocs devrait se situer entre 2,5 mm et 5 mm.

- Surtout qu'en vieillissant les dents s'usent, le menton s'élève pour reprendre le contact et comme le point de rotation de la mâchoire du bas est très postérieur, celle-ci est propulsée vers l'avant et le prognathisme inférieur est augmenté. On trouve souvent des "pinces" chez les vieux chiens "normognathe".

En conclusion, on peut signaler qu'un traitement orthodontique qui ne mobilise que les blocs incisifs n'a aucune incidence sur la réalité et n'est pas une fraude réelle puisque seules les canines sont les véritables témoins des rapports osseux génétiquement transmissibles.

Ces traitements sont d'ailleurs d'une facilité déconcertante à réaliser, car en 15 jours, on remet les incisives en place avec un simple fil coronaire en créant un mouvement de rétroalvéolie rapide et définitif...

Heureusement que ce traitement n'est pas vulgarisé car avec les anciennes méthodes de dépistage du prognathisme, plus un seul chien ne serait éliminé, sauf peut-être les bégus.

Par contre, il est pratiquement impossible de modifier la position des canines par un traitement orthodontique à moins d'envisager des forces extra orales ou autre masque de DELAIRE ce qui serait utopique pour un chien mais en tout cas à des coûts trop élevés.

Seuls des traitements orthopédiques chirurgicaux viendraient à bout de telles anomalies Nous se sommes pas encore à l'âge de la chirurgie esthétique chez les chiens!

 

LA LECTURE DES RAPPORTS INTERMAXILLAIRES EN EXPOSITION CANINE

Il est maintenant admis qu'une lecture fiable des signes de Pro ou Retrognathie chez le chien ne peut se faire qu'au niveau des crocs lorsque ce diagnostic doit être réalisé par un juge en exposition.

Il va de soi qu'un examen radiologique suivi de mesures des contours osseux (ou un scanner) serait le moyen le plus sûr pour conforter à 100% le jugement des rapports intermaxillaires. Dans l'impossibilité qu'ont les juges d'expositions d'avoir recours à ces méthodes, il est quand même possible d'éviter cet inconvénient et des procédures juridiques ou autres qui mettraient les instances cynologiques en situations délicates et indéfendables. Sauf si les standards de races mentionnent clairement le rapport incisif (mais ce n'est plus l'étude des rapports osseux transmissibles).

Chez le chien normognathe les axes des crocs de droite et ceux de gauche sont parallèles vus de face. Vu de profil les axes de ces crocs sont perpendiculaires à la ligne occlusade et l'espace les séparant est inférieur ou égal à 2mm jusqu'au contact non forcé. (Fig. A)

Dans ces races dites "normognathes" le diagnostic d'une retrognathie supérieure ou d'une prognathie inférieure est mis en évidence lorsque l'espace entre les crocs est supérieur à 2mm, que vu de profil l'axe du croc supérieur est dirigé vers l'arrière et que vu de face les crocs sont dirigés vers l'extérieur. (Fig. B)

Pour un chien dont on recherche une prognathie inférieure légère (prognathie jointive chez le cane corso) l'espace entre les crocs devra se situer entre 2 et 5 mm.

Pour les races où le prognathisme est souhaitable il faudra un écart au moins égal au précédent voire plus important. Dans les deux cas il faut une position oblique en dehors et en arrière de l'axe des crocs. On doit comprendre qu'un raccourcissement maxillaire provoque une rotation obligatoire en dedans et en avant de l'apex du croc et par conséquent l'inverse en ce qui concerne la pointe coronaire c'est-à-dire en dehors et en arrière. (Fig. B)

Si le chien présente un contact très fort entraînant une perte de substance côté opposé du croc supérieur ou encore beaucoup plus fréquent un inversé d'articulé entre le croc supérieur et le croc inférieur pour se situer entre l'inférieur et le coin (3ème incisive) il s'agit d'un prognathisme supérieur ou d'un retrognathisme inférieur. (Fig. C)

En terme usuel le chien est bégu. Il n'y a pas de race où cette situation est recherchée. Souvent dans ce type de situation les crocs supérieurs enserrent fortement la mandibule en occlusion et les crocs inférieurs s'incrustent à l'intérieur du palais dans le bord palatin de l'os alvéolaire en laissant nettement l'empreinte de leurs couronnes.

SCHEMAS (on ne tient compte que des positions des crocs)

Fig. A - NORMOGNATHE

Fig. B - PROGNATHE INFERIEUR

C - RETROGNATHE INFERIEUR (bégu)

En conclusion : dépister le prognathisme chez le chien en ne regardant qu'au niveau incisif est une source d'erreurs importantes et de contestation possible. En cas de soupçons il faut impérativement se reporter sur une lecture du rapport entre les crocs qui seuls fixent la vraie position relative des maxillaires.

L'examen de l'ensemble de la denture est de toute façon nécessaire pour éliminer toutes les possibilités d'erreurs.

Avec l'habitude tous les juges même s'ils ne sont pas des odontologistes avertis trouveront cet examen simple et efficace et une meilleure assurance d'un diagnostic incontestable.

Suite à la présentation de cette étude une objection a retenu mon attention.

Le Dr Millemann, éminent cynotechnicien, vétérinaire homéopathe et juge SCC bien connu me posait une question sur l'héritabilité de la proavéolie.

En effet, il existe des races où les malpositions des incisives dans le sens transversal, longitudinal ou vertical semblent être héréditaires: c'est le cas chez l'Estrela (Montagne Portugais) où tous les chiens ont les deux incisives centrales inférieures en bout à bout et en position basse. Il faudrait savoir si l'anomalie de position des incisives est génétiquement transmissible et si oui à quel pourcentage.

A mon avis cela mériterait une étude approfondie (beau sujet de thèse pour un vétérinaire) mais ne change en rien le précédent raisonnement, car il faut de toute façon préciser les choses et distinguer entre pro-retro gnathie et pro-retro alévéolie.

A cette heure tous les standards sont incomplets et à réviser pour préciser si les chiens doivent être prognathes ou en proalvéolie ou les deux ou compensés, etc...

Les responsables espagnols d'une nouvelle race, le Dogo canario, proposent dans leur standard que les incisives soient ou en ciseau ou en ciseau inversé mais pas en tenaille. On ne parle plus ici que de pro ou de retro alvéolie mais la notion de pro ou retro alvéolie n'est pas mentionnée et d'autre part comment éliminer par sélection une position "intermédiaire". C'est quasiment impossible.

Il reste à chaque club de race à faire ses ajustements, mais j'ai déjà entamé une étude race par race pour comparer ce que l'on voit sur le terrain et ce qui est mentionné sur leur standard, ce qui permettra je l'espère de proposer certaines modifications plus en rapport avec la réalité. Je souhaiterais d'ailleurs que les clubs puissent m'inviter à récolter des informations lors de leurs manifestations officielles car il n'y a que dans un grand nombre de sujets qu'on puisse faire des études sérieuses.

  Avec l'aimable autorisation de chien.com